"Je brûlais, il n’y a pas d’autre terme. Je souffrais terriblement. La douleur était telle que j’ai fini par craquer, je voulais que la douleur s’arrête, que tout s’arrête, je voulais en finir."

Cette détresse, c’est celle de Camille. À seulement 28 ans, la jeune femme voit sa vie basculer à cause d’un syndrome de Lyell. Une maladie rare dont on parle peu, et que seuls ceux qui y ont été confrontés de près ou de loin, connaissent.

Le syndrome de Lyell, une affection qui peut être mortelle

La nécrolyse épidermique toxique, communément appelée "syndrome de Lyell" est une maladie qui ravage ses victimes et les emporte même parfois. En France, on compte environ 1 cas sur 1 million, avec un taux de mortalité qui avoisine les 30 %.

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Provoquée exclusivement par allergie médicamenteuse, cette pathologie se manifeste par une toxidermie, c’est-à-dire le décollement puis la destruction de la peau et des muqueuses. Les yeux, la bouche et les organes génitaux ne sont généralement pas épargnés. De même que les organes vitaux qui, eux-aussi, sont exposés à la dangerosité des lésions.

On parle de "syndrome de Stevens-Johnson" quand la surface corporelle atteinte est inférieure à 30 %. Au-delà de ce seuil, le risque de décès monte en flèche, il s’agit alors d’un Lyell.

"La gravité des symptômes est très aléatoire, elle varie considérablement d’un patient à l’autre. Certains ne s’en relèvent pas alors que d’autres se remettent sur pieds en quelques mois. Quoi qu’il arrive on ne peut rien faire pour arrêter le processus, on s’en remet à la chance", explique Camille.

Le jour où tout à basculé

Un compagnon qu’elle aime, un travail stable qu’elle quitte sans regret pour se lancer de nouveaux défis... Nous sommes vendredi 29 septembre 2017 et tout va pour le mieux dans la vie de Camille, encore très loin d’imaginer ce qui l’attend.

La nuit suivante, elle est réveillée par de violentes démangeaisons. Puis, des lésions dans la bouche l’alertent et lui font comprendre que quelque chose ne tourne pas rond.

Le premier médecin qu’elle consulte lui prescrit de quoi calmer une réaction allergique modérée. Mais son état empire. Aussitôt prévenu, le médecin de famille diagnostique quant à lui un cas de varicelle.

Mardi 3 octobre, alors qu’aucun traitement ne fait effet, Camille craque. Submergée par la douleur et la panique, elle appelle le SAMU qui refuse de se déplacer pour "une jeune femme qui a la varicelle" ; ce sont ses parents qui décident de l’emmener à l'hôpital.  

"J’ai d’abord été prise en charge par le service dermatologique. Mais en constatant l’ampleur des dégâts, les spécialistes m’ont transférée d’urgence au service de réanimation des grands brûlés", raconte-t-elle. "C’est là-bas qu’on m’a expliqué ce qui était en train de m’arriver : un syndrome de Stevens-Johnson ou dans le pire des cas un Lyell, causé par une allergie à la pénicilline." (NDLR : Camille était traitée pour une angine.)

"Je suis devenue une plaie humaine"

Elle n’arrive plus à ouvrir les yeux tant la sensation de brûlure est forte, elle est fiévreuse, lessivée, perdue… "on va peut-être devoir te raser la tête demain matin", lui annonce un membre du personnel médical.

Les coups de massue s’enchainent. Finalement, elle ne sera pas rasée. Le syndrome de Lyell aura élu domicile sur 90 % de sa surface corporelle, lui laissant une once de répit à partir du sommet de son crâne.

"Mes boutons ont recouvert tout mon corps, ils ont fait des bulles puis ils ont fondu. Ma peau s’est décollée, elle à laissé place à de la chair à vif, ma chair. Je n’avais plus d’épiderme ni de derme, je suis devenue une plaie humaine."

Plus de trois semaines d'hospitalisation

Pour soulager et cicatriser sa peau, Camille a été "momifiée" une semaine durant : "on m’a bandé le corps de la tête aux pieds." 

En tout et pour tout elle aura passé plus de trois semaines à l'hôpital. De longues heures rythmées entre radios, examens, cathéter, sonde, pansements… Un chemin cauchemardesque au long duquel elle perd 6 kilos. "Je ne m'alimentais quasiment plus. À cause des lésions de ma bouche, même l’eau avait un goût d’acide".

Au-delà du poids, c’est l’identité même de Camille qui vole en éclat. Elle refuse même de se regarder : "j’ai demandé à ce qu’on cache le miroir de la salle de bain, c’était insupportable de me voir dans cet état. Je ne savais plus qui j’étais".

 
Le dos de Camille / AfterMyLyell

"On se découvre des forces que l’on n’imaginait pas"

C'est en se raccrochant à de petites victoires que Camille a retrouvé l’envie de vivre, et le courage de se battre. "Quand j'ai récupéré un semblant de motricité et d'autonomie, j'ai su que j'allais réussir à dépasser cette épreuve."

Fin octobre, Camille peut enfin rentrer chez elle et reprendre une vie "normale". Mais tout ne résout pas en franchissant les portes vitrées de l'hôpital, l'extérieur aussi a son lot de dangers. Pendant des semaines interminables, elle lutte pour se réconcilier avec son environnement. "J'avais peur de tout, du soleil, du regard des autres, de mourir, mes angoisses n'avaient pas de limite."

L'investissement de ses proches ainsi que plusieurs séances de kinésiologie ont réussi à apaiser la jeune femme fragilisée. Tant et si bien qu'elle se confie désormais sans difficulté sur sa vie avant Lyell.

Avec naturel et même une certaine sérénité, elle décrit "l’ancienne elle" comme s’il s’agissait d’une toute autre personne : "J’étais quelqu’un de léger, j’aimais prendre soin de moi, me pomponner. J’ai toujours eu un gros manque de confiance en moi mais cela ne m’a jamais empêchée de vivre ma vie comme je l’entendais."

Lucide, Camille explique avoir vite compris qu'elle devrait faire le deuil d'une partie d'elle-même. Un combat de tous les instants qui semble toucher à sa fin, 4 mois à peine après son hospitalisation. "J’ai perdu mon identité, celle que j’étais est restée à l'hôpital, mais maintenant je ne regrette plus rien, j'avance."

Se réapproprier son corps et sa féminité

Ravageur, le syndrome de Lyell n’a cependant pas tout emporté chez Camille. Au contraire, il n’a fait qu’améliorer la qualité du temps et des soins qu’elle se consacre. Sa routine beauté se partage aujourd’hui entre des gestes obligatoires pour soigner les dommages de l’impitoyable Lyell, mais aussi et surtout de nouvelles habitudes make-up, "pour le plaisir de se sentir belle."

"Je fais beaucoup plus attention à ce que je donne à mon corps, aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur. Mon alimentation a beaucoup changée, je m'entretiens avec de la course à pieds et je soigne les séquelles que j'ai aux ongles, aux yeux, et partout ailleurs", ajoute celle qui se défini comme une "survivor".

Une pathologie aussi corrosive laisse des traces physiques que Camille accepte avec une résilience teintée d’humour : "Je ne sais pas si les taches que j’ai sur le corps partiront un jour. Mais tant pis, c’est comme ça, ça ne me pose plus de problème de ressembler à un dalmatien."

AfterMyLyell, un blog pour "donner un sens à ce qui n’en a pas"

Pendant ses heures les plus sombres, Camille a cherché du réconfort dans les témoignages d’anciens patients. Rapidement, elle s’est heurtée à un grand vide, parsemé çà et là de rares retours d’expérience désastreux voire démoralisants.

"On n’a pas le droit de laisser ceux qui souffrent livrés à eux-mêmes avec des questions plein la tête", s’insurge-t-elle, avant d’ajouter : "Il fallait que je trouve un moyen de m’exprimer, pour moi, pour les autres qui vivront le même chose, pour leur dire qu’on peut se relever. Que la vie ne s’arrête pas toujours après un Lyell."

Déterminée à partager ce qu'il lui arrive plutôt que de s'isoler, Camille lance AfterMyLyell un blog à son image sur fond de rose pastel et d'arrière-plan à pois. "J'ai voulu donner du sens à ce qui n'en a pas." Une interface intimiste dans laquelle défilent des photos "choc" de son calvaire se mêlant à un flot de proverbes inspirants, positifs. Elle met subtilement en perspective le récit de sa crise et quelques selfies sur lesquels elle apparaît tout sourire, apprêtée, plus vivante que jamais.

Ligne après ligne, cette rescapée pas comme les autres se raconte dans des articles pratiques et surtout, informatifs. Tous les sujets y passent : la douche, les passe-temps, les phrases à éviter... Un exutoire salvateur qu’elle compte bien faire évoluer en donnant de plus en plus la parole aux autres victimes. 

Dans une dernière confession, Camille souffle : "Aujourd’hui je me sens belle. C’est triste de devoir traverser tant d’épreuves pour réussir à s’aimer." Avant de conclure, optimiste : "La maladie nous prend beaucoup, mais je vous assure que la vie nous rend tout et plus encore."