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TribuneNature

Un zoo de luxe reste un parc qui enferme les animaux

Loups en fuite, animaux sauvages enfermés, hectares défrichés... L’ouverture prochaine du parc EcoZonia dans les Pyrénées-Orientales, qui propose aux visiteurs de dormir avec les prédateurs, n’est pas plus écologique qu’un zoo normal, explique l’auteur de cette tribune.

Joseph Genebrier est président de l’association Atis et membre de Frene 66.


EcoZonia est un parc animalier privé situé à Cases-de-Pène, dans les Pyrénées-Orientales. Il n’a pas encore ouvert ses portes au public qu’il se targue déjà, sur son site internet, d’offrir au visiteur une expérience unique en Europe : « Entrer dans l’intimité des prédateurs. »

Après avoir dégusté la cuisine d’un chef « étoilé et Bocuse d’or », le visiteur pourra en effet rejoindre un « écolodge insolite », où il vivra une nuit « inoubliable » au milieu d’animaux en voie de disparition : tigres de Sibérie, ours bruns ou panthères de l’Amour

Ces animaux sont originaires de régions du monde étrangères à nos latitudes. Ainsi, le 24 janvier, six loups gris en provenance du parc zoologique de Riga, en Lettonie, étaient introduits dans l’écoparc. Assez vite, quatre d’entre eux prenaient la fuite. Une battue était organisée par l’Office français de la biodiversité (OFB) et trois de ces loups étaient abattus. Il s’agit en France de la quinzième évasion de loups domestiques durant ces derniers mois.

« Un cauchemar de ciment et d’acier »

Dans Zoos, le cauchemar de la vie en captivité (Éditions Libre, 2018), le militant de l’écologie profonde Derrick Jensen soulignait la tragédie que représente l’enfermement pour des animaux sauvages doués de sensibilité et d’intelligence : « Un cauchemar de ciment et d’acier, de fer, de verre, de douves et de clôtures électriques. »

Il y décrivait les troubles psychopathologiques que développent ces animaux, dont les « stéréotypies », comportements répétitifs jugés anormaux. Ainsi, rapporte Émilie Wenisch dans sa thèse sur les animaux élevés en captivité, « les ours polaires ou les félins arpentent leur cage de long en large, les perroquets s’arrachent les plumes, les éléphants se balancent d’une patte sur l’autre ».

Comme les automutilations, ces comportements révèlent les souffrances psychiques de ces animaux privés des nourritures sensorielles et affectives de leur milieu naturel. La réponse apportée par les zoos ou parcs, rappelle l’organisation Dauphins libres, est souvent de les mettre sous antidépresseurs, de donner « des médicaments tels que le Prozac et le Valium aux girafes, aux blaireaux, aux gorilles, aux ours, aux orques et aux dauphins pour les aider à faire face au confinement qu’ils supportent si mal ».

Une souffrance que l’on devine chez ces loups originaires de Lettonie et importés à EcoZonia le 24 janvier. Voici un extrait du rapport du parc animalier : « Le 25 janvier […], vers 8 heures 30, des comportements excessifs chez plusieurs loups ont été constatés, aboutissant à une dégradation de l’enclos grillagé permettant la fuite de quatre individus, malgré l’intervention du soigneur, qui a été mordu à l’avant-bras et évacué. »


Les travaux se poursuivent et dans quelques semaines, « EcoZonia, Terres de Prédateurs » accueillera ses deux premières...

Publiée par EcoZonia, Terres de Prédateurs sur Lundi 26 octobre 2020

Vingt-six hectares défrichés

Dans un long communiqué, EcoZonia accuse le zoo de Riga de maltraitance envers ces loups. Mais cela diminue-t-il la portée des constats sur le désarroi des animaux captifs — parc de luxe ou pas ? Dès 1862, le poète français Charles Leconte de Lisle le dénonçait dans ses Poèmes barbares :

« Aussi, comme un damné qui rôde dans l’enfer
Pour l’inepte plaisir de cette multitude,
Il allait et venait dans sa cage de fer,
Heurtant les deux cloisons avec sa tête rude.
L’horrible sort, enfin, ne devant plus changer,
Il cessa brusquement de boire et de manger
Et la mort emporta son âme vagabonde. »

Cette situation doit nous interpeller. Que révèle-t-elle de la conception de l’écologie défendue dans ce nouveau tourisme de luxe ? Car pour satisfaire ce « rêve », le visiteur devra tout de même débourser 250 euros par nuit et par personne. Un programme assez éloigné d’une possibilité de reliaison à la nature pour le plus grand nombre. Sans oublier que, pour construire cet « hôtel de luxe  », il aura également fallu défricher vingt-six hectares d’un écosystème méditerranéen.

Mais que le lecteur se rassure, greenwashing oblige, EcoZonia lui permettra, avec sa réservation, de replanter quelque part un arbre. Il pourra par ailleurs se réjouir d’être dans un endroit qui affiche pour « seul objectif la préservation des espèces », notamment « le lézard ocellé Timon Lepidus et le Glaïeul douteux Gladiolus dubius ». Il pourra ainsi oublier en toute sérénité que la principale cause d’extinction des espèces est la déforestation liée à l’activité humaine. Une étude a observé qu’entre 1970 et 1983, le léopard de l’Amour aurait perdu jusqu’à 80 % de son territoire.


Publiée par EcoZonia, Terres de Prédateurs sur Lundi 14 septembre 2020

Marchandisation des animaux

« Exemplaire », vraiment ? EcoZonia n’a pas encore ouvert ses portes que la mortalité des loups gris importés d’Europe de l’Est y est déjà de 50 %. Un constat malheureux qui conforte les dires de Derrick Jensen : dans les zoos, « la mortalité est très forte, et seuls quelques rares spécimens s’adaptent et vivent assez longtemps pour donner [une] illusion de longévité ».

Ce parc animalier privé a pourtant bénéficié de financements publics de la part de l’État, de la région et du département. Le récent fonds pour le tourisme en Occitanie lui aura ainsi versé 1,4 million d’euros, EcoZonia lui paraissant répondre « aux plus hauts standards européens en termes de bien-être animal ».

De nombreuses associations et le parti Europe Écologie — Les Verts local ont manifesté leur désaccord à ce projet d’ouverture, qui fait des animaux sauvages « des marchandises ». Ils proposent au contraire de « protéger les espèces locales » et d’aller dans le sens de la récente loi sur le bien-être animal, toujours en lecture au Sénat.

Suite à l’évasion des loups, un arrêté de mise en demeure par la préfecture a été adressé au directeur du parc EcoZonia, Cyril Vaccaro, pour qu’il réalise une expertise sur la sécurité des installations et des équipements liés à l’hébergement des animaux. Celui-ci espère toutefois vendre son « rêve » dès le 10 avril prochain, quel que soit le regard de la panthère de l’Amour :

« Son regard du retour éternel des barreaux
s’est tellement lassé qu’il ne saisit plus rien.
Il lui semble ne voir que des barreaux par milliers
et derrière mille barreaux, plus de monde. »

La Panthère, Rainer Maria Rilke (1902).

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