Empathie, consolation, sens de la justice… Les animaux, ces pros de la morale

De nombreuses études en éthologie documentent la présence d’altruisme, de consolation ou encore de réconciliation chez des animaux non humains.

Une « contagion émotionnelle » a été observée chez des primates, des cochons, des poulets, des chiens ou encore des rats (LP/Arnaud Journois)
Une « contagion émotionnelle » a été observée chez des primates, des cochons, des poulets, des chiens ou encore des rats (LP/Arnaud Journois)

    La moralité est souvent présentée comme un « propre de l’Homme ». Si la capacité à délibérer rationnellement sur le sens du bien et du mal n’a pas été démontrée chez d’autres animaux, les humains sont-ils néanmoins les seuls à avoir un sens moral ? De nombreuses études en éthologie documentent la présence d’altruisme, de consolation ou encore de réconciliation chez plusieurs espèces animales.

    Des poissons altruistes

    Sans surprise, « la morale animale a été étudiée en priorité chez les grands singes, chez qui on observe notamment des comportements de coopération et une aversion à l’iniquité », explique Mathilde Lalot, docteure en éthologie. En témoigne une célèbre expérience réalisée par les primatologues Sarah Brosnan et Frans de Waal, auprès de singes capucins. Virginie Simoneau-Gilbert, doctorante en philosophie à l’université d’Oxford, détaille dans une conférence le protocole expérimental :

    « Deux singes capucins sont gardés dans des cages côte à côte, d’où ils peuvent se voir. Le principe de l’expérience est de leur donner, en échange d’une roche, soit un concombre, soit un raisin. Le premier singe donne sa roche et obtient un concombre. L’autre singe, qui est à sa gauche, donne également sa roche, mais lui obtient un raisin. Il faut savoir que le raisin est une nourriture que les singes capucins adorent. On demande ensuite au premier singe de donner à nouveau sa roche ; il reçoit un autre morceau de concombre, alors que son congénère vient d’avoir un raisin. Et ça le rend furieux ! Il refuse le concombre, le jette sur l’expérimentatrice. » Une indignation qui laisse penser que l’animal est pourvu d’un certain sens de la justice.

    Si les primates ont la faveur des scientifiques, bien d’autres animaux font preuve de facultés morales : « Je pense notamment aux comportements d’aide ciblée envers un congénère en détresse, de la part d’éléphants, de dauphins, et des cétacés en général », énumère Mathilde Lalot. « Les poissons sigans font de l’altruisme réciproque, souligne quant à lui Sébastien Moro, vulgarisateur scientifique et auteur avec Layla Benabid des Cerveaux de la ferme, un résumé illustré de plusieurs centaines d’études portant sur les capacités cognitives des animaux d’élevage. Ce sont des poissons qui vivent en paire, et quand l’un rentre la tête dans les récifs pour manger, l’autre monte la garde. Quand le premier a terminé, il pourrait très bien s’en aller, puisqu’il n’a plus rien à gagner. Et pourtant non, il monte la garde pendant que le second va manger. »

    Les rats font preuve d’empathie

    Les comportements relevant de la moralité sont étroitement associés au fait de dépendre d’un collectif. « Il est important que des liens sociaux forts unissent les membres du groupe pour que des comportements moraux apparaissent, explique Sébastien Moro. Il faut que notre comportement personnel ait une importance aux yeux des autres, et que donc, dans une certaine mesure, l’avis des autres ait une importance pour nous. S’il n’y a pas de risque à perdre une relation ou à l’endommager, alors ces phénomènes moraux ont moins de chance de se produire. »



    L’empathie, notamment, « est souvent vue comme une forme de ciment social entre les individus, qui permet une compréhension de la situation d’autrui, d’entrer en relation avec les autres », explique Virginie Simoneau-Gilbert. Cette « contagion émotionnelle » a été observée chez des primates, des cochons, des poulets, des chiens ou encore des rats qui, dans certaines expériences, « préfèrent même libérer un congénère et partager avec lui du chocolat, plutôt que de s’empiffrer d’abord », rapporte Sébastien Moro.

    Des implications pour l’éthique animale

    Les animaux devraient-ils pour autant être tenus responsables de leurs actes ? « Il ne faut pas faire d’anthropomorphisme, avertit Mathilde Lalot, qui est la tendance à considérer que les comportements observés ont forcément une base complexe telle qu’on l’imaginerait chez un humain adulte. Sinon, on perd en rigueur explicative. Mais il ne faut pas tomber non plus dans le travers opposé, l’anthropodéni, qui consiste à dénier aux animaux la possibilité de processus mentaux complexes et émotionnels, parfois comparables à ceux des humains. »

    Ainsi, sans remettre les procès d’animaux à l’ordre du jour, certains pourraient bel et bien avoir des obligations à notre égard – notamment les animaux domestiqués, particulièrement en mesure d’appréhender et de respecter des normes de vie commune avec des humains. « On pourrait par exemple considérer qu’un chien a une obligation de ne pas mordre les êtres humains de son foyer », propose Virginie Simoneau-Gilbert, qui s’inspire pour ses recherches de l’ouvrage Zoopolis, un classique de l’éthique animale paru en 2011.